samedi 25 octobre 2008

Poupée d'inquiétude, quand te dépoupéed'inquiétuderas-tu?

Un 4 juillet en Amérique.

Avec ou sans confitures, les rôties du matin goûtent le métal. Sans cheveux, les papilles ferreuses, me voici, ex-princesse mutante, Lady Hickory, Dame de Fer-Blanc, dépossédée du bon usage de ma dépouille ô combien mortelle. Ligotée, armurée, projetée à mon corps défendant au pays d'OZ, moi qui ai toujours détesté les magiciens, d'OZ ou d'ailleurs, les balades en forêt, et par-dessus-tout ce film affreux, qui me glaçait, petite.

Ce Seule dans la forêt de mes dix ans, m'y revoici à quarante-huit, terrifiée non pas d'être seule, mais de l'être dans la forêt.

Définition de ce lieu oppressant dans mon Petit Robert psychique:

Forêt : Labyrinthe humide sans panneau lumineux affichant EXIT, foisonnant de personnages hideux, de lions sans couilles et de têtes de linottes empaillées. Lieu sans porte ni fenêtre, doté d’un plafond bas et d’un plancher visqueux. Tout y revêt une couleur vert de gris. On y entend les corbeaux sans les voir, cachés qu’ils sont par des tentacules branchues, lesquelles se dressent sur notre chemin exprès pour nous crever les yeux. Synonymes : trappe, piège, cage, enfer.

Le bois, en comparaison, constitue un lieu acceptable, voire agréable. Juste assez d’oxygène, juste assez de lumière. De plus petite superficie, il laisse entrevoir une issue, une éclaircie, un plan d’eau, un morceau de ciel, un brin d’horizon. Entre les feuilles s’immiscent un, deux, trois rayons de soleil, puits de lumière où le regard se fraye un chemin joyeux. Hospitalier, le boisé vous accueille sans vous engloutir, la porte demeure visible et entrouverte. Faune et flore se laissent admirer sans se jeter à votre figure. Le bois est un être civilisé.

Puisque, au quinzième jour post-première-chimio, mes tartines goûtent le métal, puisque le café soulève des raz-de-marées gastriques, replions le journal du matin dont les lignes sautillent de toute façon.

Petit moment patate de sofa, réfugiée en boule dans la doudouillette. Sous le coussin, ma main tombe sur un minuscule sac aux couleurs criardes de poncho chilien, cadeau de soeurette Pensée magique. Poupées d’inquiétude, poupées d’inquiétude, à l'aide, à moi!

Elles apparaissent illico, dans leurs robes effilochées, et enfouissent ma peur et mes nausées sous leurs crinolines magiques. La sorcière chimio lâche un grand cri, mord la poussière, et disparaît dans sa forêt glauque.

Elle reviendra, mais bénie soit la trève.

Et hop, je m'arrache de la doudouillette et enfile ma tenue d’athlète de chez Winneuse.

Au miroir, en passant : Attache ta perruque, Iron woman, c’est l’heure du jogging. À défaut de papilles et d’estomac, tu disposes encore de jambes et de poumons valides.

vendredi 13 juin 2008

La quatorzième nuit

Ce petit texte est dédié à Mademoiselle Détresse, du Maroc, pour sa soeur, avec mes voeux de bon courage en attendant votre adresse email pour vous répondre (commentaire reçu le 6 juin 2008).
Au petit matin du 3 juillet, se confirme la prédiction de la blonde Pharmacienne en oncologie: tous mes cheveux sont tombés en cette quatorzième nuit suivant la première chimio.

Certes, j'avais suivi la recommandation unanime de les raser très courts une semaine plus tôt et la perruque alias prothèse capillaire attendait sagement son heure sur la commode. Mais lorsque j'apparais, me grattant le crâne, dans son champ de vision, le miroir sursaute et s'écrie:

- AAAAAAAAAAAAAHHHHHH!

- Ben quoi, tu t'attendais pas à ce que je ressemble à Ève Salvail tout de même?

- PPPFFFF... Hihi! Non. Mais à ta fille au moins! Elle, qui t'a devancée au défi Tête rasée, a trouvé moyen de rester super jolie!

Vrai. Le 10 juin dernier, la princesse N participait au défi Leucan, se rasait le coco et contribuait à la levée de fonds de recherche pour la leucémie. Mais surtout, cherchait à stimuler mon courage.

Eh bien, paradoxe: bien qu'on la dise mon portrait tout craché, ELLE, est chouette sans cheveux, tandis que moi, sans cheveux, j'ai l'air d'une chouette!

Les yeux écarquillés, je contemple le reflet de l'inconnue au look ET à l'agonie devant moi. Puis je m'engouffre sous la perruque et décrète un boycott systématique des miroirs pour les six prochains mois.

Si la calvitie sévit au début de la troisième semaine, nausée, migraine et fatigue s'estompent enfin... J'émerge donc de ma tanière pour ma première sortie mondaine en tant que chauve dissimulée. Invitée pour le thé chez Mrs Peacock, j'y rencontre Miss Scarlet, Colonel Mustard, Mrs. White, Mr. Green, et Prof. Plum près de coeurs-saignants au fond du jardin. En plein débat animé. Le désaccord porte sur l'arme et le lieu du crime: The Rope? The Lead Pipe? The Knife? The Wrench? The Candlestick? The Revolver? The Hall? The Lounge? The Dining Room? The Kitchen? The Ballroom? The Conservatory? The Billiard Room? The Library? The Study?

Tandis que mon hôte verse le English Breakfast fumant dans la délicate porcelaine à mon intention, je révèle mon scoop d'un air supérieur et entendu:

- Mais non mais non, mes bons amis, vous n'y êtes pas du tout!

Miss Scarlet échappe son petit sac brodé et Professeur Plum tourne lentement son monocle vers moi.

- Le crime a été commis par Dr O, dans la Salle 2.45 de l'Hôpital X, avec... la Seringue Rouge!


Et la victime, mon ancien moi? Elle a cédé sa place à sa nouvelle identité, comme des millions d'autres, comme tous ceux et celles qui ont expérimenté, expérimentent ou expérimenteront un premier rendez-vous manqué avec la grande faucheuse.

Dans la joie de voir l'énigme résolue de manière aussi inopinée, tous bondissent de leur chaise, se prennent par la main, forment une ronde, et entament Sur le Pont d'Avignon d'un air léger.

Quant à savoir ce que Mrs Peacock avait mis dans son thé cet après-midi, motus et bouche cousue, personne ne le saura jamais!

dimanche 13 avril 2008

Princesse rebelle, détective.

Tiens, vous revoilà… Quelle joie de vous retrouver! Où étiez-vous passés? Entrez, entrez, prenez place, ici dans le soleil, ou là, près des érables qui nous espionnent, mine de rien, par la fenêtre. Que pensent-ils de nous? Doivent nous trouver bien agités et si dépourvus en matière de racines.

Prendriez-vous un thé vert? Un allongé bien tassé? Ou est-ce l’heure de déboucher le rouge?

Où en étions-nous déjà? Ah oui, ce fameux 15 juin, finaliste au Gala du Jour Moche de l'année, celui où s'ouvrent les digues pour laisser couler la peine. Il en faut un, chacun a le sien, pour moi ce fut ce samedi là. Oui, c’est bien cela, nous avions convenu de survoler cette case du Monopoly, connue de tous les membres de la Confrérie des Jaquettes Bleues, et d’atterrir au cœur du lendemain, celui du regain d'espoir.


Où Future Patiente reçoit de la grande visite

Me voici donc, baignée de lumière, en ce dimanche 16 juin, en compagnie de mon amie indonésienne. Deux chandeliers sur le plancher de bois et un Ipod jouant des airs de bambou complètent le décor. Quatre heures durant, Linda me dispense ses mantras (oublies pas, chui pas croyante... bon OK remplacer dieu par chocolat, mer, doudou, épaule, whatever). Chorégraphies d’asanas. Soies oranges. Effluves balisiennes.

Bénie sois-tu Linda. J’ai souvenir de toi, petite fille, dans la cour d’école. Souvenir de toi, ado à la crinière brune, vêtements amples, gestes lents, si peu occidentale. Manigançant mauvais coups, fugues et subterfuges de l’adolescence avec ma sœur cadette, cherchant ta voie, un peu à côté de tes pompes. Jusqu’à ton départ pour l’Asie à 19 ans. Après la Chine et le Viet Nam, tu l’as croisée, cette voie, à Bali et as enfin défait tes bagages. Née en exil à Montréal, ta nature orientale sautait aux yeux tout-à-coup.

Ce dimanche, au fil des asanas, regerme en moi ce besoin d’écrire, maintes fois échafaudé, mais écarté par la fatigue. Rappelez-moi de vous parler un jour de la fatigue. Mon ennemie fidèle.


Le mardi 19 juin. Du rire comme antidote.

Au jour fatidique, je me présente à la chaise de torture, soutenue par une princesse dauphine, laquelle arbore un crâne rasé par solidarité filiale. Néanmoins jolie comme une petite mésange et drôle comme jamais. La première seringue m'est injectée en pleine hilarité mère-fille. Lorsque Sainte Infirmière tente d'implanter la deuxième, la seringue rouge de l'anthracycline, celle qui me coûtera mes cheveux et un bon nombre d'autres détails, je m'écroule de rire. Assez mal à propos je l'avoue. Sainte Infirmière me gronde gentiment mais fermement. On ne rit pas avec l'anthracycline.

Je m'attends à muter en champignon vert et rose, à me liquéfier, voire à mourir sur place, pétrifiée par cette phobie maternelle du poison chimio. J'en suis quitte pour refréner crise de fou rire sur crise de fou rire au cours des heures d'intraveineuse qui suivent, la princesse N ne me laissant aucun répit, imaginant milles scénarios tous plus loufoques les uns que les autres pour me distraire. Les antinausées, administrés en doses de cheval, accomplissent des miracles: je supporte tout mieux que prévu.

Comme la colère cache souvent le chagrin, l'humour abrite nos frayeurs. Tout de même, la nuit suivante, à chacun de mes levers nocturnes, j'entends immédiatement sa petite voix inquiète: - Maman? Fais-tu de la température?


Le débarquement de St-Alphonse

Au lendemain de l'invasion chimique, débarque mon amie L, venue me dorloter trois jours durant, les bras chargés de plats Tupperware, de vaisselle bleue, de musique et de lectures. Sa guacamole sauve mon appétit menacé, ses magazines remplacent mes chers livres, abandonnés pour cause d'incapacité subite à lire trois mots d'affilée. Même les spéciaux de la semaine du Publisac constituent un effort intellectuel insoutenable et le catalogue IKEA me paraît écrit en chinois. Trente ans d'amitié font de mon amie L ma grande soeur adoptive, celle qui vous demande de la laisser prendre soin de vous comme on demande un service...

J'apprécie à sa juste valeur chaque parcelle d'amour ainsi reçu.

Le 24 juin: naissance d’un blogue.

Donc cette idée d’écrire. Conjuguée à mes rudiments de compétences-web, prendra-t-elle forme? À force de fouilles et de grincements de dents, je finis par décrypter le mode d’emploi de ce nid où déposer mes mots : le blogue. Car, étrangeté, la chimio me rend in-ca-pa-ble de lire, mais point d'écrire.

La voilà enfin, la face ensoleillée de la lune. Écrire. La réunion impromptue des ingrédients : solitude, sédentarité et réserve inattendue de temps. Contraintes imposées, ou cadeaux octroyés par la maladie? Je choisis, la plupart du temps, les dernières lunettes.

Je vous ai confié plus tôt combien l’acte d’écrire se résume pour moi, à l’épistolaire. Confié également n’avoir senti l'appel du roman qu'une seule fois, à l'âge de 10 ans.

Genèse lointaine du présent récit.

C'était l'été 1969. Je venais de passer quelques années en compagnie de la Ségurienne comtesse, dont les pâtisseries aux noms mystérieux me dépaysaient du Boston Cream Pie maternel. J’avais été tour à tour Camille et Madeleine protégeant Sophie (ce clone de Minou bébitte), puis Caroline, la sœur aînée de Gribouille, en l’honneur de qui je suppliai ma grand-mère Audélie de m’enseigner quelques points de couture.

Dès le 24 juin, les classes finies, je joignis les rangs du Clan des sept et du Club des cinq[1]. J’organisais de grandes battues à bicyclette dans le quartier, à la recherche de présumés malfaiteurs dont je notais les numéros de plaque avec sérieux dans un calepin noir au titre pompeux de Interpol Montréal. À cette époque la bibliothèque municipale limitait les emprunts à trois livres à la fois, me forçant à d'incessants allers-retours pour alimenter ma fièvre détective.

Vers la fin de l’été, les vélos rangés et la brigade dissoute, je devins Jo, l’écrivain en herbe des Quatre filles du docteur March[2].

Révélation fulgurante: je serais écrivain. Quatre ans de catéchèse scolaire m'avaient persuadée de ma prédestination à rencontrer tôt ou tard la Sainte Vierge, ma date d'anniversaire coïncidant avec celle de l'apparition à Fatima. Je troquai mon destin pieux contre celui de sombre écrivaillonne. Quand par la suite les premières ligne du Petit chose me confirmèrent la coïncidence de ma date de naissance avec celle d’Alphonse Daudet, je n’y vis que pléonasme et soulignement au trait rouge d’une évidence.

En quête d'un sujet littéraire, je décidai de me pencher sur la condition d’orphelin. Je rédigeai mon premier et dernier roman, dramatiquement intitulé Seule dans la forêt, dans une chambre de motel de Wilwood, New Jersey, tandis que le reste de la famille barbotait bruyamment dans la mer. J’estimais ces jeux d’eaux puérils, comme tout futur Goncourt qui se respecte, et détestais les baigneurs, lesquels répandaient, en claquant leurs babouches, du sable dans mon livre ouvert. Souffreteuse et anémique, tout ce soleil me rendait, au surplus, migraineuse et amorphe. L’Ovide Plouffe en moi aspirait à un minimum d’heures d’ombre, de solitude et de tranquillité quotidienne, compromis par la sautillante Minou Bébitte et le babillage des jumelles. Aussi, ma mère lectrice, solitaire à ses heures, avait-elle consenti à me laisser les clés de la chambre, avec moultes recommandations de n’ouvrir à personne.

Stella, l’héroïne de mon chef d’oeuvre, commençait par s'égarer dans un bois sinistre de France (avant de croiser Michel Tremblay, j'ignorais qu'un roman puisse se dérouler en Amérique). Bientôt à court de vocabulaire pour décrire la faune et la flore de la mère-patrie, je la faisais rescaper par une troupe de romanichels vers la page 83. Je prévoyais en faire une acrobate de cirque ambulant, trimbalée par ses sauveteurs de contrées en contrées, jusqu’au jour où, consacrée vedette, son père la reconnaîtrait dans un journal en fumant un cigare (très important le cigare, j’y tenais). Toute ressemblance avec Sans famille, d’Hector Malot, n’est ni fortuite, ni attribuable au hasard.

Au retour de Wilwood, en pénurie de lectures, je me précipitai à la bibliothèque, du sable plein les souliers, encore enduite de protecteur solaire à la noix de coco. Je tombai tête première dans les séries Bennet[3] (petit anglo-saxon, vivant des péripéties hilarantes dans son collège), et surtout, je rencontrai Puck[4] (petite danoise, également pensionnaire et apprentie détective).

Dès lors je ne rêvai plus que de quitter ma famille pour la vie de pensionnat, plus exaltante et foisonnant de malfaiteurs à démasquer. Le Danemark devint mon Eldorado et je m’inscrivis à une agence de correspondance internationale en indiquant, par ordre de préférence, la liste des pays des mes correspondants convoités: soit le Danemark, la Finlande et, en désespoir de cause, la Suisse (en souvenir d'Heidi et de ses blancs moutons).

J’avais oublié la barrière des langues : on m’assigna plutôt Florence, 11 ans, une correspondante française native de Chartres. (Son adresse d'enfance demeure gravée dans ma mémoire des suites d’une correspondance assidûe, débutée à dix ans, et tristement cessée à son décès, à l’âge de 41 ans, lors d’un accident de voiture. Nous devions nous rencontrer pour la première fois quelques mois plus tard, dans son chez elle adulte, en face de l'île d’Hyères, en Méditerrannée. Je n'arrive pas à me départir de sa photo sur mon frigo, et lui parle en cachette de temps en temps.)

Du coup, pourvue d'une correspondante fidèle, je délaissai ma carrière de romancière pour celle d'écriveuse de lettres. L’acrobate de mon futur Nobel de Littérature ne retrouva jamais son papa fumeur de cigare.

Mon coup de foudre suivant, Georges-Gustave Toudouze, m’initia à la voile avec Cinq jeunes filles sur l'Aréthuse [5]. Déserté, le pensionnat lugubre, au profit de palpitantes navigations sur l’Atlantique et aux Açores. Capitaine de l’équipage, je n’en continuais pas moins à pourchasser les malfaiteurs, désormais pirates ou contrebandiers.

À onze ans, j’envisageai brièvement de traquer le bandit aérien avec les Sylvie. Mais je m'avisai que ma gaucherie légendaire me ferait assurément congédier après avoir ébouillanté trois-quatre passagers ou entrouvert une fenêtre, histoire d'aérer un peu. Je renonçai à séduire le commandant de bord, que mes charmes (cachés, car j'eus l'adolescence ingrate) laisseraient probablement de glace.

À douze ans je sombrai dans la plus totale et adolescente déprime en plongeant dans les sinistres romans de Guy des Cars. J'ai rêvé des années qu'un de mes doigts se détachait de ma main, resté collé à la tasse que je venais de déposer.

À treize, je rencontrais enfin l’amour durable dans une chambre jaune avec le Rouletabille de Gaston Leroux. Depuis, d’Hercule Poirot en Arsène Lupin, de Sherlock Holmes en Jean-Baptiste Adamsberg ou en Temperance Brennan, je fréquente les héros de roman policier chaque soir avant de dormir. Parmi mes rêves les plus chers, point d'expédition en kayak, nulle plongée en apnée dans les coreaux multicolores: je rêve d'assister à une autopsie. D’ordinaire, deux ou trois lectures de front traînent dans mon sillage: l’une au salon, celle des dimanches après-midis, une autre à la cuisine, dédiée au café matinal. Quant au livre de chevet, il persiste dans le genre policier, sauf en cas de faible fièvre, auquel cas il est détrôné par un Peanuts, version élimée format de poche. Passé 101 degrés Farenheit, un Tintin s'impose, mon compagnon de maladie depuis qu’à l’ablation de mes amygdales, ma mère m’offrait Le sceptre d’Ottokar combiné au privilège de ne manger que de la crème glacée à l'érable pendant trois jours.

Ô comme j'aimerais me faire enlever les amygdales à nouveau!

**


Ce 24 juin, un mardi plus orange que les autres, je saute à bord d'un train en marche, armée de ma simple plume. J'ignore la durée du voyage et la destination précise, mais je me venge de ces incertitudes en me payant la traite de ma vie: pour le meilleur et pour le pire, je suis Ingrid Farenheit, princesse rebelle et écriveuse de lettres.


À suivre...

[1] Par la britannique Énid Blyton, Hachette , Bibliothèque rose.
[2] Little women, de l’américaine Louisa May Alcott, publié en 1868.
[3] Bennett au collège (Jennings Goes to School) est le premier roman de la série Bennett par Anthony Buckeridge.Ce roman a été édité pour la première fois dans la Bibliothèque verte en 1963.
[4]Puk vover pelsen : Den tredie bog om Puk”, under pseud Lisbeth Werner , 94 siderWangel, 1. udg : 1953. Série de livres écrits par Lisbeth Werner (pseudonyme), et publiés dans la collection Rouge et Or Souveraine, aux éditions GP.
[5] coll. « Bibliothèque verte / Cinq jeunes filles », Hachette, 1954.

vendredi 8 février 2008

La première chimio - préambule

À Noémie,
À Louise Warren,
À Jocelyne Gascon.
Aucune épreuve ne m’a autant effrayée que ma première chimio . Ma mère avait choisi de ne pas en recevoir. Elle désignait ce traitement sous deux vocables: diable et poison.

Et vous êtes arrivées, la main tendue, comme une évidence. Votre présence, vos rires, votre écoute, ainsi que vos savoureux et innombrables petits plats Tupperware, ont sauvegardé mon appétit et apaisé mon âme.

Quand les méandres de ce long tunnel tournent de nouveau au noir et au glauque, y penser me redonne courage et le goût d'en rire. Merci.

À suivre...

Image: Prothèses capillaires, Société canadienne du cancer.

mardi 22 janvier 2008

Le Monopoly des émotions

La chimio contre 780 moments de bonheur supplémentaire et hop-la-vie-tout-est-diguidou? Avais-je inhalé du bubble bath passé date? Fumé la petite fleur rose de mon géranium?

D'avril à juin de l'an 1 de sa survenue, je n’ai pas versé une larme sur ce foutu diagnostic. Pas une en deux mois. La chirurgienne a déposé cette roche noire dans le creux de ma main. Je me suis dit, tiens, mais qu'est-ce que c'est que çà?

- Une toute petite bombe à retardement.
- Et je fais quoi avec?

- Il faut tout laisser en plan et partir.
- Quand?

- Tout de suite.
- Pour aller où?

- Vers un promontoire difficile d'accès, mais en partant tôt, vous pouvez l'atteindre. La carte géographique se modifiera au fur et à mesure du trajet, des intempéries, des îles peuvent surgir, des océans se vider, des continents se fusionner et vous bloquer le passage. La route n'est pas toute tracée d'avance. Mais on dispose de boussoles très au point et d'excellents remèdes contre le mal de mer, m'a rassurée docteure Chirurgienne.
- Qui vient avec moi?

Vos proches vous accompagneront jusqu'au quai, mais vous embarquerez seule.

Au 16 avril de l'an 1, je me donc suis mise à ramer vers la sortie de secours. Comme si je devais conduire une autre personne à bon port, la maintenir en vie, la rescaper. Pas le temps de s’émouvoir. Sonder la boussole, étudier les cartes, remonter le courant. Direction sortir-d’ici.

La roche noire dans mon poing fermé, j'ai étudié les latitudes et les longitudes vers le meilleur tremplin pour la propulser au loin sans billet de retour. Pas de temps pour les larmes, ni pour la révolte, rien que de la gestion du risque, du contrôle, le coeur cadenassé, le cerveau en alerte. Pas de pourquoi moi, à peine un petit pourquoi maintenant?

Qu’elle était douce, alors, ma chaloupe au bois dormant, ma cachette berçante, douce la torpeur du clapotis rythmé par mes coups de rame. Une maison de paille vous dites? Qui ne pouvait que flamber? Mais en attendant, elle me procurait le recul nécessaire à l'élan.

Cette envie folle de remettre l’enveloppe au facteur avec la mention : destinataire inconnu, mauvaise adresse, svp retourner à l’expéditeur.

Et le facteur vous la redonne;

Pardon madame, mais c’est le bon nom, la bonne adresse.
Non monsieur.

Oui madame.
Non.

Lisez vous-même...
Apparaît la chaloupe. Vous y sautez en jetant l’enveloppe sur le quai et ramez loin, loin d’elle. Le facteur, imperturbable, la ramasse, en fait un petit avion et l’envoie planer jusqu’à vos pieds, dans le fond de la barque. Vous la jetez par-dessus bord. À votre insu, elle s’accroche à la rame et n’en veut pas décoller. Ainsi, vous poursuivez votre fuite, proie affolée traînant son prédateur dans son sillage. Lequel, tranquille, n’attend que votre épuisement pour rebondir dans la barque.

Vivement déplier la carte, trouver des repères, comprendre la route:

L'annonce d'une nouvelle tragique entraîne un état de choc momentané. La personne touchée est envahie de stupeur et une réaction d'incrédulité s'ensuit : « Non, ce n'est pas possible; ce n'est pas vrai ». Par ce mécanisme de défense elle peut réduire la portion menaçante de la réalité et garder son monde intact en niant les faits qui pourraient le changer. Cette négation est un répit essentiel et souhaitable qui lui permet de se recueillir et de continuer à vivre avec le moins de stress possible. En niant la situation elle se donne la force d'en discuter, comme s'il s'agissait d'un événement extérieur ou concernant un étranger, et de prendre les décisions qui s'imposent (le choix d'un traitement par exemple). C'est encore le mécanisme de la négation qui lui fait taire la vérité aux êtres chers pour s'en ouvrir à des étrangers. Peu à peu, ce mécanisme de défense temporaire qu'est la négation débouche sur une acceptation partielle de la réalité[1].

Avril, mai, début juin.

Ainsi tanguait pour moi la petite chaloupe verte du déni, si salutaire pour la collecte de données nécessaire aux décisions graves.


Une fois la chaloupe pleine, j'ai pris ma décision et accosté.

Collision frontale

Me voici au 15 juin de l'an 1, à la magic hour des photographes. Mon heure, celle où les yeux clairs de ma grand-mère Audélie me reviennent le plus nettement. Mais j'avance le coeur serré. Un pic neigeux se dresse devant moi et le ciel tourne du rose au gris.

Passent les heures et moi je monte, je monte. Je me retourne sur une plate-forme surplombant mon récent parcours. Vertige! À l'aide! Mais non, se resaisir, lever plutôt la tête vers ce qui reste à gravir.

Ma nouvelle réalité me frappe alors de plein fouet, cinglante comme un dix-roues. À quelques heures, à quelques mètres à peine, m'attendent nausées, perte de cheveux, système immunitaire affaibli, risques d’infections, ulcères, goût de métal, perte d’appétit, confinement à la maison... si tout se passe bien. En bonus, possibilité de chute libre des globules blancs et des globules rouges. D'hospitalisation entre quatre murs agrémentés de joyeux microbes sautillants.

780 moments de bonheur? Hé! Ho! Reviens sur terre Hop-la-vie! Après un printemps de chirurgie et ses suites, un été de chimio me tend les bras, suivi d’un automne de radio, suivi d’une année de Herceptin, suivie de cinq années de bouffées de chaleur et d'hormones assommées au Tamoxifène. Si tout se passe bien.

Dans quatre jours on brasse les dés, et le petit pion rouge sur la case GO, c’est moi. Pas le voisin, ni sa soeur.

D’ici au plus deux semaines, tous mes cheveux resteront sur l’oreiller au cours d’une nuit. À moins qu’ils ne se détachent de mon crâne dans la douche. Chute d’un seul coup garantie en moins de 24 heures. Oui je sais, tous les jours des enfants meurent, de faim, du cancer, de la guerre, et c’est bien pire. Çà vous console à tous les coups, vous?
Redéplier la carte, secouer la boussole, essayer toutes les lunettes d'approche. Éplucher les sites gouvernementaux pour jeter un peu de lumière dans ce chaos intérieur.

… les étapes d'un processus d'adaptation : la négation, la colère, le marchandage, la dépression, l'acceptation. Ces étapes ne se succèdent pas nécessairement; par exemple, le refus sera mêlé d'un sentiment de colère et réapparaîtra de façon épisodique même au stade de l'acceptation [2].

Je poursuis l'ascension transpirant, haletant, cherchant mon souffle. Peu à peu, sous mes pas, la géologie se métamorphose. Je n'y vois presque plus, l'heure bleue succède à la rose, suivie d'une nuit opaque. Je m'endors devant mon portable ouvert.

Où Future Patiente flambe sur le gril
À mon réveil le lendemain le pic neigeux s'est transformé en volcan rouge. Où en étais-je?

À la négation, dit-on, succède normalement la colère. Émotion taboue. Surtout afficher zen, rationnel, et en contrôle. De notre lecture mercantile et managériale du monde est née cette séduisante utopie intitulée Gérer ses émotions avant de les ressentir. Après tout, nous enseigne cette paire de lunettes, il en va de la peur, de la colère et de la tristesse comme d'une action en Bourse. Sitôt surgie l'ombre d'une émotion, la voilà jugée au palmarès de la rectitude, exprimée ou refoulée, selon sa propension à vendre de la copie ou à faire des vagues.

Freud n'a point inventé le retour du refoulé: il n' a qu'observé et baptisé le phénomène.

À Paris , m’écrivait une consoeur de cancer du sein l’autre jour, tout le monde doit être beau, en santé, de bonne humeur, et riche. Mais la tyrannie du bonheur sévit partout, amie parisienne.

… Bientôt, ce sont des sentiments mêlés de colère et d'indignation qui déferlent : « Pourquoi moi? ». Tout devient alors une source d'irritation et de critique : le rire et l'insouciance des autres, les soins de l'infirmière, le traitement prescrit par le médecin, les attentions de la famille, etc. La colère est une réaction normale et justifiée car la personne touchée ressent amèrement la perte de son autonomie, surtout si elle doit être hospitalisée. C'est une étape très difficile pour les membres de la famille et ceux de l'équipe médicale qui ne comprennent pas toujours le sens de cette colère et se sentent injustement visés, attaqués. Cette crise de colère qui éclate et frappe aveuglément reflète l'angoisse qu'éprouve la personne malade. Elle suscite dans son entourage des sentiments d'irritation, de culpabilité et d'impuissance devant le destin [3].
J’entends la montée du magma, son grondement, sa brûlure.

Apparaît un gendarme, walkie-talkie à la main:

- Dix-quatre, suspecte localisée, mobilisation en cours. Madame, changez d’air, vous êtes rabat-joie.
- Monsieur, je suis en colère.

- Madame, c'est interdit.
- Monsieur, je n'ai ni décidé ni choisi d'être en colère, je le ressens, c'est tout. Le cancer ...

-Prohibé! Ce mot est prohibé!
s'écrie le gendarme en me passant les menottes, vous venez de contrevenir à l'article 4 du Code de dénomination édulcorée des événements désagréables ...
- MOOOONSIEUR depuis deux mois je l’évite, je le contourne, ce mot, je m’interdis de le prononcer, je fais une thèse en philosophie sur l’accueil des épreuves en tant qu'inestimables expériences humaines, que dis-je, en tant que chances inouïes de grrrrandir et autres rédemptions promises, et vous savez quoi, à ce rythme je dépasserai 8 pieds avant Noël, ma tête dépasse déjà de la cheminée, comme une Alice au cou de girafe, et vous savez quoi, il est toujours là, ce mot, cancer, dans mes céréales du matin, dans mon polar de chevet, dans la lettre de rupture que je viens de recevoir, dans mon compte en banque dégarni avec ristourne d'angoisse, dans mes vacances à la mer foutues, dans mon année scotchée à la maison, il est partout, il croît dans ma tête, il glisse ses tentacules gluantes autour de ma gorge, il m'étouffe, et vous savez quoi encore, on me dit qu’après la chimio, la radio, l’hormono et la biothérapie, je serai probablement en rémission mais à risque élevé de récidive et on me propose donc deux mastectomies radicales (paraît que les reconstructions sont chouettes de nos jours), et depuis deux mois, monsieur, deux mois, je fais semblant de A-rien, je la joue baba cool, meu-non meu-non on se fait pas de mouron, on se retrousse les manches et hop-la-vie laytoulalère, non mais quel courage et quel moral d’acier cette Future Patiente!
Le gendarme, ébranlé, me démenotte dans un élan de compassion:
- Écoutez. Vous avez droit à une petite larme tristounette, à la condition de porter du mascara hydrofuge, et de l'accompagner d'un sourire courageux sur fond de ONLY TIME chanté par Énya.
- Comme dans le film Sweet november?
- Exact.
- Est-ce que le beau Keanu Reeves va venir me la sécher, ma larmette à moi, tandis que le vent soufflera sur ses mèches brunes et agitera le foulard cachant mon crâne dégarni? fais-je, pleine d'espoir.

-Keanu Reeves, Keanu Reeves, vous en demandez pas mal... mmm... on pourrait s'entendre pour Patrick Normand
?
marchande le gendarme.

- Ben là on peut pas être deux à porter des foulards! ... James Hyndman? (une fille s'essaye).

-
Décidément vous placez la barre haute... Je vous concède Robin Williams.
( Bon, faut rester réaliste... après tout, je suis quand même pas une Adjani )

-Top là!
Une fois réglée la question du partenaire, je m'exécute et refoule l’éruption au plus profond. Et le gendarme part vers une autre mission, non sans m'avoir décerné un beau diplôme de maîtrise en gestion des volcans rouges à suspendre au-dessus de ma cheminée.
Où Future Patiente saute par-dessus le volcan.
Manipuler les dés et sauter très haut, très loin par-dessus la case du Vésuve. Conjurer le sort, ou plutôt s’en croire capable. Ressentir néanmoins la morsure brûlante au passage. Le volcan me regarde le survoler, imperturbable. Il attend son heure. Cette patiente là n’a rien de différent, elle ne vaut pas mieux que les autres. Les étapes sont les étapes : l’ordre peut en être bousculé, mais elles surviendront. Ainsi va le processus.
En attendant je plane, je plane, au-dessus des petites cases colorées, le Kentucky, le chemin de fer, la prison. J’atterris enfin, le dimanche 17 juin, sur une case étonnamment douillette du plateau de Monopoly.

Secouant mes fringues des étincelles de feu chopées au passage, je constate être tombée sur un tapis persan vert émeraude, brodé de fils d'or.


Devant moi, une grande beauté indonésienne assise en lotus. Je reconnais sa grâce orientale, sa crinière ébouriffée, la lenteur balisienne de ses mouvements et son sourire dévastateur.


Bonjour Linda, ma petite orchidée blanche et rouge de Bali. Merci d’être venue.