Qui suis-je?

 Joan Miró, La esperanza del condenado a muerte (1974).























Un lundi 15 janvier j'ai été catapultée dans un univers insoupçonné, complexe, et vous savez quoi? Passionnant.

Il s'agit du monde du cancer du sein, dont je ne prévoyais guère apprécier un jour les subtilités. Ancrée que j'étais dans la certitude qu'il ne sévissait que dans les familles détenant les fameux gènes prédestinants.

Or, nul cancer du sein ne trône dans notre généalogie Labbé-Rozon. Leucémie, AVC (merci Virginie!), coeur et vieillesse constituent nos tueurs les plus notoires.

Nous comptons également dans nos annales un célèbre accident de train qui, peu avant ma naissance, frappa de plein fouet ma future marraine, Roxanne, ainsi que ses deux jeunes enfants. On me désigna une autre marraine, ma tante Marie-Paule, qui, détestant son prénom, se fit renommer Michelle. Ainsi, je m'appelle Marie Roxanne Michelle Johanne et je possède deux marraines.

Notre grand-mère, Audélie, (laquelle, détestant son si joli prénom, se fit rebaptiser Germaine!!!),  nous racontait comment elle avait appris la mort tragique de sa bru et de ses deux petits-enfants par la radio! Elle en parlait plus volontiers juste avant l'heure de s'agenouiller au pied de son lit, pour la messe quotidienne, diffusée sur sa petite radio de plastique orange des années 50.

Manon et moi nous agenouillions avec elle, impressionnés, mais sans prier. Nous préférions nous apitoyer sur notre pauvre sort, à l'idée d'avoir manqué ce cousin François et cette cousine Suzanne, assurément les plus formidables de la planète.

Je conserve, dans un coffre à bijoux (lequel a déjà joué l'air de Fur Elise), deux minuscules petits jouets de plastique leur ayant appartenu, légués solennellement par ma douce grand-mère, lorsqu'elle m'en jugea digne. Ils reposent à côté de ses gants de dentelle ivoire,  ceux-là même qu'elles portait le jour où son fiancé chuta en bas d'un manège du Parc Belmont et en mourut.

Outre les trains et les manèges de foire, rien ne nous prédestinait à mourir dans la famille. Il y avait bien eu grand-papa Labbé, le bigame, mais un AVC l'ayant rendu aphasique avant notre naissance, mes soeurs et moi nous aperçûmes à peine de sa disparition, aussi silencieuse que lui.  Ainsi, nous nous espérions tous vaguement éternels, à tout le moins futurs centenaires, jusqu'à la leucémie de notre maman Gabrielle, diagnostiquée à 52 ans. Quant à la question mammaire, elle se portait très bien merci jusque là dans notre tribu. 


Quiconque fréquente le cancer de près ou de loin peut témoigner du lent, mais intense processus de réflexion mis en branle à l'énonciation du diagnostic fatidique par un médecin, quelque part dans un cabinet aux murs vert pâle, devant un patient ou une patiente médusé(e).

 
Cette réflexion, je me propose de la partager ici, pour l'amusement de quelques lecteurs, dans l'arôme penché de la cafetière, ou au-dessus d'un thé fumant.

L'écriture thérapie, peut-être, mais surtout, surtout, j'ai enfin le temps d'écrire, et de réécrire, grâce au cancer. Si par hasard vous relisez certains épisodes, ils auront peut-être été modifiés, ou déplacés, voire éliminés. Comme on corrige sa composition à la petite école, je m'appliquerai à traquer l'erreur, à actualiser mes sources, à clarifier le propos, à restructurer le déroulement et la chronologie des péripéties. À comprendre, pour mieux affronter la maladie.

Je n'ai senti l'appel du roman qu'une seule fois, à l'âge de 10 ans, dans une oeuvre dramatiquement intitulée Seule dans la forêt.

Quant à celui de la poésie, dont les muses m'ont rapidement abandonnée, je préfère en admirer l'évolution chez mon amie LW, celle-là même qui, à chacune de ses visites, laisse dans ma maison un nuage de poésie bleue, des monceaux de biscuits au beurre, un coeur fabriqué avec des boutons multicolores, des revues appétissantes et la voix de Jane Birkin.

Je n'ai jamais pu vivre sans écrire des lettres. Ma tribu et mes fidèles amis constituaient le cercle de mes victimes involontaires et indulgentes. Je devine leur soulagement lorsque le manuscrit fut supplanté par le courriel, si facile à supprimer par mégarde!

Et que de lettres d'amour ont dû laisser mes destinataires pantois, prétextes involontaires de ma compulsion épistolaire. Paradoxalement, à mes  amours véritables, (avec un grand A, dirait Jeannette), je n'ai laissé que peu de traces écrites. Ceux-là ont donné lieu à des traces vivantes, ici une enfant lumineuse et des beaux-fils aimés, là et là encore, une amitié indéfectible...

Aujourd'hui, dans la solitude de la maladie, dans la sédentarité imposée, la plume virtuelle me procure ce lien vital aux autres, dans la rédaction de la plus longue missive que j'ai jamais écrite, à quiconque voudra bien la recevoir. 


Cette lettre sera mon voyage à la mer manqué, cet été.

Je vous relaterai ces morceaux épars de faits tragiques et   cocasses survenus dans ma petite vie ordinaire depuis janvier.

Je vous tiendrai à jour, si possible au fur et à mesure, des péripéties de la patiente en apprentissage que je suis,  lorsque leur narration me semblera, peut-être à tort, digne de vous amuser.

Les digressions, que je crains fréquentes, refléteront l'état d'esprit parfois chaotique dans lequel nous plonge l'aventure du cancer.

Le cliché veut que, la seconde avant de mourir, nous assistions en mode rewind au film de notre vie. Personne ne sait si le film se déroule du début à la fin, ou de l'instant de notre mort à reculons jusqu'au cri primal, ou encore dans le désordre chronologique le plus total. Le film nous reprojette-t-il tout, tout, même les courses à l'épicerie un jour de pluie? Un bouton permet-il d'accélérer les passages insignifiants? Ou de supprimer au montage certains épisodes moins glorieux?

Nul ne peut témoigner avoir vécu la chose de façon crédible s'il est toujours vivant pour en parler.

Mais je peux confirmer combien le vécu d'une maladie potentiellement mortelle à court terme fait resurgir des épisodes de toute nature, dans un ordre très peu chronologique, de notre vie.

Par exemple, je me demande comment Audélie, ma douce grand-maman, à laquelle je vous sens déjà attachés, se sentit lorsqu'elle apprit, après la naissance de son 4e enfant, mon père, que son mari, mon grand-père Louis, était bigame... faisant d'elle, la seconde épousée, une fille-mère (jeunes gens qui ignorez tout de ce concept étrange, sachez qu'il vous stigmatisait à jamais dans le Québec des années 40, jusque dans le certificat de naissance, où un représentant du Vatican annula son mariage). 


À force de retouches, j'espère voir les morceaux épars d'anecdotes trouver leur exacte place le long du récit, véritable et imaginaire, de ma traversée du cancer. La seule dont je puisse parler en connaissance de cause.

J'accueillerai avec joie vos commentaires, si brefs soient-ils, ou le récit de votre propre  traversée, à l'adresse email figurant dans mon profil. La rubrique commentaire vous est également ouverte.

Mais entrez donc! Soyez les bienvenus!

Prenez ce fauteuil, dans le soleil...

Puis-je vous offrir une tasse de thé?



Pierre Bonnard, Le déjeûner, (détail), vers 1932.



















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