à moïsette, ma belle-maman.
La
préposée à l’accueil, dont je n'aperçois que la tignasse noire et
l'unique mèche mauve, attrape ma carte bleue et m’ordonne sans lever la
tête de sa lecture: Enlevez le haut, mettez une jaquette et allez vous
asseoir!
En ce gris novembre de l'an
deux-mille-douze, me voici de nouveau en jaquette bleue, chemisier et
soutien-gorge roulés dans un sac de plastique identique à celui de mes
congénères. J'écornifle le papotage de deux employées, scandalisées du
nombre effarant de jaquettes jetées au lavage en une semaine à la
clinique du sein. Ce gaspillage éhonté, estiment-elles, empêche le
gouvernement d’embaucher le personnel minimal requis.
Je reluque
la salle d'attente et m’imagine revêtir, dégoûtée, la jaquette des 100
patientes précédentes, puis la refiler aux suivantes : pardon, la tache
de café, ce n'est pas moi!
Combien de fois servirait-elle, cette
jaquette collective, avant d’aboutir dans le panier à linge sale? Et les
microbes sur nos systèmes immunitaires affaiblis? Je lave mes mains à
l’eau bouillante javelisée aux 5 minutes, obéissant aux affichettes
placardées partout, mais je porte la jaquette de la fille qui tousse,
voire de celle qui crache du sang?
Tiens! Un jeune homme en
jaquette bleue à la clinique du sein aujourd’hui. Le deuxième rencontré
en 5 ans de suivi assidu. Comment vit-il sa minorité? Outre la rareté
du cancer du sein masculin, on entend peu ceux qu’ils touchent.
Propension moindre du mâle à s’épancher? Timidité? Réticence devant la
marginalité? Rien de tout cela? Cancer du sein ou du poumon, homme ou
femme, un cancer c'est un cancer point final? J’ai souvenir du premier
homme rencontré ici. Accompagné de sa conjointe, mais portant lui-même
la jaquette, il blaguait haut et fort avec toute la salle d'attente, en
apparence très amusé de sa situation. Trop?
Blottie dans le giron
de la communauté, une parmi tant d'autres, j'avoue m'en trouver un peu
consolée. Appréhendant les mêmes mutilations, ajustant les mêmes
perruques... Semblables épreuves entre semblables. Parenté des salles
d’attente, des blogues, des forums, pensant les unes aux autres comme à
des soeurs: comment s’est déroulée la mastectomie de Sandrine? comment
se porte Isabelle, notre miraculée de l'herceptine, que deviennent les
collègues de gym du projet Amazone? La sœur de X, la mère de Y... Mais
le père de? Le frère de?
Comment te sens-tu jeune homme en jaquette bleue?
- Madame Labbé, salle 7!
Les
jolies petites lunettes noires m'attendent. La prochaine fois il faut
que je note la marque. Discret le sourire, réservée, ma chirurgienne. Sa
seule extravagance consiste à arborer ce rouge à lèvres impeccable,
mais ses yeux noirs vous scrutent sans maquillage. La concentration sans
doute inouïe imposées par la salle d'op me porte à lui parler tout bas,
brièvement, comme si elle tenait perpétuellement un scalpel plongé dans
un organe vital. Un sourire sérieux. Je la préfère ainsi d'ailleurs.
Comment ferais-je confiance à une chirurgienne riant bruyamment de mes
tentatives de blagues, se tapant sur les cuisses, m'abordant avec
familiarité et tapes dans le dos? Déjà que le port de la jaquette
incite maintes préposées au tutoiement intempestif et à
l'infantilisation de la patiente.
Les lèvres rouges m'aperçoivent:
- Bonjour! Je vois que vous allez mieux!
Huit mois plus tard, Belle d’Ivory ne perd pas le fil… (voir texte précédent CRÂNE FRAGILE)
Terrassée
par une pansinusite et des migraines post ponction lombaire au
printemps dernier, j'ai cru y rester. Dès lors, je suis passée de
Survivante-angoissée-par-la-mammo-çà-y-est-c'est-la-récidive-je-le-sens,
à Je-m’en-fous-quasiment. Pourvu que la douleur sous forme d’intensité
maximale se tienne coite.
Cette indifférence me laisse perplexe.
Depuis 2007, l'Avant-résultat de mammo suspendait sous mes yeux vitreux
des petits hamacs bleus d'insomnie pas vraiment mignons. Mon caractère
optimiste réduit à néant, je mettais des semaines à me reconstituer
après l’acquittement prononcé par la docteure B, chirurgienne en
oncologie de son état.
Cette fois, niet. Nul cauchemar de
chirurgiens me pourchassant, sabre en main, pour me trancher la
poitrine, aucune réserve exprimée devant les projets d’avenir à long
terme de mon chum. Moins alerte, rendue gaga à force de mammos
négatives, suis-je en train d'oublier la maladie mortelle qui a soufflé
dans mon cou?
Pourtant. Jamais je n’ai sous-estimé le bonheur de
n’avoir pas de rendez-vous à l’hôpital cette semaine, ni celui
d’espérer sévir encore dans 15 ans. Embrasser les 20 ans de mon
petit-fils, bercer les enfants à venir de ma Pitchounette, vieillir dans
les bras de mon amoureux, rigoler avec ma famille à 70 ans, demander à
mes amies si je dois continuer à teindre mes cheveux à 75, rien n'est
acquis.
Mais la trouille, la peur au ventre avant le résultat de la mammo? Volatilisée.
Un
petit quelque chose clochait tout de même du côté gauche. Je
l'envisageais sans la moindre anxiété: bof, ce sera comme les dernières
fausses alertes!
S'en suivit une mammo dans 6 mois plutôt qu'un
an, et nous voici donc, toute de novembre vêtue, dans le bureau de la
docteure B, en train d'apprendre pourquoi le petit quelque chose se
révèle bénin.
Mais alors, quelle sensation insolite remplace
l'anxiété depuis? Je me sens coupable. De m'en sortir à si bon compte à
ce jour. De ne plus appartenir aux combattantes actives. La légitimité
même de ce blogue remise en cause. Elle va mieux et persiste à décrire
ses péripéties?
Qu'en dis-tu lumineuse Isabelle de Lyon ( http://isabelledelyon.canalblog.com/ )
dont la rémission demeure perpétuellement à conquérir une année à la
fois, en tenant tes petites filles par la main? Qu'en pensent mes
copines en chimio et celles des soins palliatifs? Fermer boutique ici et
tourner la page pour écrire ailleurs, autre chose? Abandonner les
copines? Puis-je décemment afficher cette issue optimiste qui semble la
mienne?
Nul soubresaut d’anxiété à 3 heures du matin ces derniers temps, nulle apparition de hamacs bleus.
Rien
qu’un tout petit cauchemar, la veille du résultat : un médecin inconnu
(grand, brun, frisé, l'air méchant, le connaissez-vous?) me pointait du
doigt en criant : AVEZ-VOUS ACHETÉ VOTRE PERRUQUE? Je répondais
tremblante que j’avais gardé celle de la première fois.
C'est cher, les perruques.
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Ma fille, ma perruque et moi - Juillet 2007- Noémie s'était rasée par solidarité! |